Les éruptions volcaniques explosives rejettent dans l'atmosphère des particules de verre, d'éclats et de roche pulvérisée dures aux arêtes coupantes, pouvant atteindre jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres d'altitude. Ces éjections solides d’une éruption volcanique explosive sont de tailles très variées, depuis des particules très fines (inférieures à 5 microns) jusqu’à des blocs de plusieurs mètres. Une colonne de cendre appelée aussi panache volcanique se forme lorsque les cendres chaudes se mélangent avec l'air et les gaz éjectés lors de l'éruption. Ces cendres sont très abrasives et, comme il s’agit essentiellement de matières siliceuses, elles ont un point de fusion inférieur à la température de fonctionnement d’un moteur à turbine moderne en régime de croisière. Les nuages de cendres volcaniques peuvent être transportés dans l'atmosphère sur plusieurs milliers de kilomètres par les courants aériens. Si ces cendres volcaniques se trouvent dans la haute troposphère et même atteignent la basse stratosphère, où volent les avions commerciaux, elles peuvent causer une panne de moteur, endommager les aubes des turbines ou les sondes Pitot et pouvant même provoquer la perte de l’appareil.
Les éruptions explosives les plus énergiques se produisent fréquemment, mais pas toujours, au début de la séquence d'éruption, et s'atténuent au cours des semaines ou des mois suivants. Les périodes de calme peuvent être suivies d'autres grandes explosions, dont l'intensité diminue rapidement.
Il existe environ 1500 volcans plus ou moins actifs recensés dans le monde, qui constituent autant de points chauds que les avions de ligne doivent absolument éviter.
Pour assurer la sécurité des routes aériennes, l'Organisation de l'aviation civile internationale OACI a réparti les responsabilités en matière de surveillance des cendres volcaniques, par grandes zones, entre neuf centres consultatifs sur les cendres volcaniques appelés VAAC (acronyme de l'appellation anglaise Volcanic Ash Advisory Center). Ces centres ont un rôle consultatif d'appui à la gestion de crise par les autorités de la navigation aérienne. Pour sa part, Météo-France est responsable du VAAC de Toulouse, couvrant l'Afrique et une grande partie de l’Europe.
En cas d'éruption volcanique dans sa zone, le VAAC concerné a pour mission d'estimer l'étendue (verticale et horizontale) des nuages de cendres et de prévoir la trajectoire et la dispersion des cendres dans l'atmosphère, en fonction de l'évolution des conditions météorologiques. Ces prévisions sont fournies aux compagnies aériennes en support à leurs procédures de gestion des risques de sécurité ou SRA (Safety Risk Assesment).
Dans un nuage de cendres volcaniques, on peut aussi trouver des solutions gazeuses de dioxyde de soufre (qui, en présence d’eau, produit de l’acide sulfurique), de chlore (qui, en présence d’eau, produit de l’acide chlorhydrique) et d’autres substances chimiques qui attaquent la cellule des aéronefs et sont dangereuses pour la santé.
Ci-dessous, un avion est cloué au sol à l'aéroport de San Carlos de Bariloche au sud de l'Argentine par l'éruption du volcan Puyehue dans le sud Chili.
Les cendres volcaniques sont très abrasives à cause de leur composition en minuscules particules de roches déchiquetées dont plus de la moitié correspond à de la silice ou à du quartz, des minéraux très durs capables de rayer une vitre.
Différents effets possibles sur la cellule et les équipements d'un avion :
- L'abrasion des bords d'attaque de l'aile, des bords d'attaque des plans fixes horizontaux et verticaux.
- L'abrasion peut dépolir le pare-brise d'un cockpit et le rendre opaque, provoquant la perte de visibilité partielle ou totale pour les pilotes.
- Les cendres peuvent obstruer les sondes Pitot et les prises statiques.
- Les sondes d'incidence et de température peuvent être également affectées.
- La contamination importante des systèmes de ventilation et de pressurisation de la cabine, (respiration, parole, nausées, irritation des yeux, etc.).
- La finesse du matériau permet aux cendres de traverser les systèmes de filtration et donc de contaminer les systèmes de refroidissement des unités électriques et avioniques.
- Les systèmes d'alerte au feu contaminés peuvent générer de fausses alertes au feu en confondant la cendre volcanique dans l'air avec la fumée d'un incendie.
Les systèmes de navigation et de communication des avions peuvent être affectés de différentes manières, notamment par l'abrasion des antennes, l'atténuation et la réfraction des ondes dans les nuages de cendres volcaniques et les décharges électrostatiques (dessin ci-dessous).
Les décharges électrostatiques ont été identifiées comme ayant l'effet le plus perturbateur sur les systèmes de navigation et de communication. Elles sont le résultat d'une charge excessive de la structure de l'avion qui ne peut pas être complètement déchargée de manière contrôlée par les déchargeurs statiques de bord. Les déperditeurs d'électricité statique . La charge peut être induite par un champ électrique à l'intérieur du nuage de cendres volcaniques (également responsable de certains éclairs volcaniques), c'est ce qu'on appelle la charge exogène. Mais la charge est probablement plus souvent générée par l'effet triboélectrique, car les particules de cendres volcaniques en suspension dans l'air frappent la cellule.
Les réacteurs d'avion ne sont pas certifiés contre les effets des cendres volcaniques. On protège les moteurs vis-à-vis d'éléments comme l'ingestion de pluie, de grêle, de sable, mais les cendres volcaniques sont des événements rares et très variables. Donc, ces cendres crachées par les volcans constituent un risque majeur pour l’aviation civile, car elles peuvent endommager sérieusement les moteurs des avions.
Les trois modes d'endommagement les plus importants d'un moteur par ingestion de cendres volcaniques sont les suivants.
1 - L'usure des aubes du compresseur basse pression, mais surtout l'usure des aubes du compresseur haute pression. C'est à cet endroit du moteur que les pressions sont les plus fortes et les vitesses de rotation les plus importantes. Sous l'effet de la silice, ces aubes s'usent et perdent leurs caractéristiques aérodynamiques. Elles deviennent incapables de fournir les performances qu'on leur demande. Le compresseur entre en dysfonctionnement aérodynamique et dans une phase de pompage. Il ne peut plus fournir ni pression ni débit et le moteur va s'éteindre.
2 - Les cendres sont en fait constituées en bonne partie de silice. Cette silice fond dès qu'une température de 1100 °C est atteinte, en traversant la chambre de combustion, où la température avoisine les 1400 degrés. Cette silice va se transformer en liquide pâteux. Au sortir de la chambre de combustion, la silice se dépose sur les bords d'attaque des aubes de la turbine haute pression et se refroidit en obturant progressivement le passage de l'air ; le compresseur à haute pression va donc produire des efforts accrus pour faire passer le débit nécessaire à la poussée. À partir d'un certain moment, le compresseur va devenir instable aérodynamiquement. On rentre alors dans des phases de pompage et le moteur peut aller jusqu'à l'extinction.
Il peut avoir également une accumulation de cendres resolidifiées sur les aubes directrices de la tuyère du réacteur, ce qui provoque également un décrochage du compresseur.
Heureusement, quand le moteur s'éteint, cette pâte vitrifiée repasse par un cycle thermique moins élevé, qu'elle a du mal à supporter ; elle se brise, ce qui permet souvent un réallumage du réacteur.
3 - Enfin, il peut y avoir endommagement par pollution et obturation des circuits de refroidissement des aubes de turbine à partir du prélèvement effectué au niveau du compresseur. Voir Circuit de refroidissement. Il en résulte une surchauffe des pièces, des brûlures et un endommagement progressif du moteur.
Les conséquences opérationnelles de ces endommagements sont de deux types:
- perte de puissance brutale et simultanée des moteurs, ce qui constitue un vrai problème de sécurité,
- usure prématurée du moteur.
Ci-dessous,le turboréacteur d'un avion British Airways ayant subi des dommages lors d'un vol dans un panache de cendres volcaniques en 1982. Ci-dessous, on constate l'intérieur du réacteur recouvert d'un matériau vitreux et silicaté.
En février 2000, un DC-8 de la NASA à destination de la Suède a traversé un panache de cendres produit par le volcan islandais Hekla.
Ci-dessous, les bords d'attaque des aubes du compresseur haute pression sont fortement érodés.
Ci-dessous, accumulation des cendres volcaniques à l'intérieur d'une aube de turbine. Cendres provenant du circuit de refroidissement.
En 1989, un avion assurant le vol KLM 747 entre Amsterdam et Anchorage en Alaska, s’était retrouvé dans un nuage de cendres issu du volcan Redoubt, à 177 km d’Anchorage, malgré les systèmes d’alerte prévus, ce qui avait entraîné une perte de puissance des moteurs. Il avait cependant pu atterrir à Anchorage, mais le remplacement des quatre moteurs endommagés avait coûté 80 millions de dollars.
Au cours des importantes éruptions du volcan indonésien Pinatubo en 1991, dont les nuages de cendres ont aussi eu une influence sur le climat, plus de 40 différents incidents impliquant des avions avaient été répertoriés.
Les influences sur le climat dépendent de l’endroit où se trouvent ces éruptions volcaniques. Sous les tropiques, les nuages de cendres peuvent persister «quelques mois, même jusqu’à un an» à plus de 18 km d’altitude, bloquant le rayonnement solaire, avec un impact sur la température au sol.
Afin de permettre aux opérateurs aériens de planifier et router les vols en toute sécurité, les neuf VAAC - Voir VAAC dont Météo-France à Toulouse produisent des messages (VAA) et des cartes (VAG) d’analyse et de prévision décrivant l’espace aérien contaminé par la cendre volcanique.
Les nuages de cendres volcaniques font l’objet de SIGMET avec la mention VA (Volcanic Ash) indiquant la position et le déplacement observés et/ou prévus du nuage.
Les VAAC européens produisent également, lors d’éruptions émettant de la cendre en quantité significative, des cartes de concentration de cendre. Ces dernières décrivent, pour des tranches de niveaux donnés (par exemple, SFC/FL200, soit du sol au niveau de vol 200), les limites des zones correspondant à une contamination prévue pour être forte, modérée ou faible.
Les trajectoires des panaches de cendres volcaniques peuvent s’étendre sur des milliers de kilomètres et des études ont montré que quelques nuages volcaniques ont fait un tour complet autour de la Terre.
Le 20 mars 2010 commençait l’éruption volcanique de l’Eyjafjöll, volcan au sud de l'Islande et prend fin le 27 octobre 2010. Après une phase éruptive avec coulées de lave qui provoquent de violentes inondations du fait de la fonte subite de la glace de la calotte qui recouvre le volcan, un important panache volcanique se forme, constitué de vapeur d’eau, de gaz et de cendres. On estime que, lors des 3 premiers jours de l’éruption, 200 millions de tonnes de cendres ont été projetées dans l’atmosphère.
Les cendres poussées par les vents dominants qui les rabattent d'abord sur l'Angleterre et l'Irlande, puis sur l'Europe continentale, entraînent d'importantes perturbations du transport aérien dans le monde avec la fermeture de plusieurs espaces aériens et de nombreuses annulations de vols.
Ci-dessous, les différentes positions des cendres suivant les dates.
Article de Guillaume Frasca paru dans Pour la Science le 27/04/2011
Lorsque le volcan Eyjafjöll est entré en éruption en avril 2010, il a projeté dans l’atmosphère une grande quantité de cendres. Ces particules présentant un danger pour les moteurs des avions, les vols furent interdits à des centaines de kilomètres à la ronde. À haute température (de l’ordre de 1200 °C), les cendres peuvent endommager les céramiques qui recouvrent les pièces du réacteur et les isolent thermiquement. Nitin Padture, de l’Université de l’Ohio, et ses collègues américains et russes ont développé de nouveaux matériaux isolants qui résistent aux cendres volcaniques.
Une céramique composée d’oxyde de zirconium (ZrO2) et d’oxyde d’yttrium (Y2O3) est couramment utilisée dans les réacteurs d’avion, où elle est déposée sous forme d’une couche de moins de un millimètre d’épaisseur. Sa structure poreuse lui confère une faible conductivité thermique et une grande flexibilité mécanique, qui permet au matériau de se déformer lors des changements de température. Des physiciens ont étudié le comportement de la céramique chauffée à 1200 °C en présence de cendres riches en silice prélevées sur le volcan Eyjafjöll. Ils ont observé que les cendres fondent et que la phase vitreuse ainsi formée, peu visqueuse, pénètre alors dans tous les pores. En refroidissant, elle durcit, ce qui diminue la flexibilité de la céramique. Dès lors, la couche isolante de céramique est susceptible de se détacher du réacteur.
Les chercheurs ont mis au point un nouveau matériau également poreux, mais de composition chimique différente. Cette céramique d’oxyde de zirconium et de gadolinium (Gd2Zr2O7) est imperméable aux cendres fondues dès que son épaisseur est supérieure à dix micromètres. À haute température, la céramique réagit partiellement avec les cendres pour former, en plus d’une phase vitreuse, de petits cristaux riches en gadolinium. Ces grains cristallins colmatent l’entrée des pores, ce qui empêche la phase vitreuse d’y pénétrer profondément. Le matériau conserve ainsi globalement sa structure et ses propriétés isolantes.